1 Le spectromètre
Les réseaux par réflexion sont des dispositifs optiques constitués d'un grand nombre de raies parallèles réfléchissantes. Ils ont la propriété de disperser la lumière incidente pour faire apparaitre son spectre dans des directions précises. Les DVD sont constitués d'un sillon "enroulé" en spirale sur une plaque en plastique, c'est sur ce sillon que l'on trouve les alvéoles codant pour un bit. La distance entre 2 sillons voisins est de 0.74 µm pour les DVD et 1.6 µm pour les CD. Puisque ces sillons sont réfléchissants, on peut donc considérer qu'un DVD est un réseau optique par réflexion à 1350 traits/mm, d'où l'idée de s'en servir pour faire un spectromètre. Comme à mon habitude la première mouture du spectromètre a été faite avec les moyens du bord, voici une photo du montage:

La lumière arrive par le tube collimateur en laiton sur la gauche, elle passe par une fente d'ouverture réglable constituée de 2 lames de rasoir parallèles puis elle se dirige sur le DVD. Le DVD est fixé sur un support que l'on peut faire tourner afin de contrôler l'incidence du rayon et donc la position de la lumière dispersée, enfin un appareil photo numérique (APN) permet de capturer les raies.
2 Spectre d'une lampe fluorescente compacte
Puisqu'un spectromètre trouve son principal intérêt dans l'observation des raies spectrales, j'ai commencé par observer une source commune possédant un spectre discontinu: la lumière d'une ampoule fluorescente compacte dont voici la photo.

photo brute des raies à l'ordre 1 d'une ampoule fluorescente compacte.
Les sillons du DVD étant en spirale, les raies réfléchies prennent la même courbure, j'ai donc découpé les images près de l'axe de symétrie et sur une hauteur assez faible pour que l'on puisse encore considérer les raies comme droites. J'obtiens une image de 328 pixels de haut à partir de laquelle je vais extraire le spectre:

réduction en hauteur des raies à l'ordre 1 d'une ampoule fluorescente compacte.
J'ai importé la dernière image sur un logiciel de calcul pour la convertir en niveau de gris sensé représenter l'intensité optique, puis j'ai fait la moyenne des 328 lignes de l'image en noir et blanc pour n'avoir qu'une seule ligne. Le moyennement permet d'obtenir une information moins bruitée que chacune des lignes de la photo originale.
Puisqu'il n'est pas pratique de regarder une image de 1 pixel de haut par 1950 pixels de large, j'ai simplement copié 328 fois cette ligne moyennée puis j'ai mis une au dessus de l'autre ces copies pour former une image de la même taille que l'originale. Evidemment je n'ai pas fait ça à la main et le logiciel de calcul a été précieux pour automatiser ces étapes.
Voici l'image obtenue:

Niveau de gris des raies à l'ordre 1 d'une ampoule fluorescente compacte.
L'échelle en abscisse correspond au numéro du pixel, le niveau de gris est codé sur 8 bit et peut donc prendre 256 valeurs, sur le graphe il est représenté par une couleur, la valeur zéro correspond au noir et le 255 au blanc. Pour avoir un spectre, j'ai simplement tracé la valeur du niveau de gris en fonction du numéro du pixel sur l'image précédente:

Spectre brut à l'ordre 1 d'une ampoule fluorocompacte.
Une fois que j'ai obtenu ce spectre, j'ai cherché des références pour trouver les longueurs d'ondes des principaux pics, et je suis tombé sur ce précieux document: spectre d'une lampe fluorescente avec valeur des pics. En premier lieu on remarque la grande similarité entre le spectre que j'ai obtenu et celui de la référence. On peut voir qu'il me manque le premier pic bleu qui est une raie du mercure à 404.66 nm, alors certes sur cette image il était hors du champ de l'appareil photo, mais tout comme l'œil humain, le capteur CCD de mon APN est peu sensible dans le bleu et cette raie n'est pas suffisamment intense pour apparaitre, j'ai refait la même expérience avec un autre appareil photo et là cette raie apparait nettement, ça dépend donc fortement de la qualité de la cellule CCD.
Cette référence m'a aussi permis d'indexer mon spectre pour convertir l'abscisse du pixel sur la photo en longueur d'onde. Sur 6 pics les plus définis que j'ai choisi, j'ai pu faire une interpolation affine avec une corrélation très proche de 1 qui traduit que mon échelle en pixel est vraiment linéaire (enfin affine) par rapport aux longueurs d'onde. Par exemple sur le spectre précédent un pixel correspond à 0.135 nm. J'ai donc appliqué la bonne transformation affine à l'échelle des abcisses pour afficher un spectre en fonction de la longueur d'onde:

Intensité optique en fonction de la longueur d'onde du spectre à l'ordre 1 d'une lampe fluorocompacte.
3 Spectre d'une lampe incandescente
Puisqu'il est maintenant possible de donner une échelle en longueur d'onde à notre spectre, j'ai voulu voir jusqu'où s'étend le spectre continu d'une lampe incandescente ou bien jusqu'à quelle longueur d'onde mon appareil photo est sensible. J'ai repris le montage précédent en mettant côte à côté la lampe fluorescente et l'ampoule incandescente, sans déplacer l'appareil photo, j'ai pu capturer à tour de rôle le spectre des 2 lampes. Ainsi, en prenant soin de ne pas introduire de décalage lors de la découpe de la zone d'intérêt, j'ai pu obtenir la même échelle en longueur d'onde sur les 2 photos, c'est là encore le logiciel de calcul qui m'a permis de couper les photos de façon identiques au pixel près.
L'image suivante montre les 2 spectres que j'ai mis l'un au dessus de l'autre pour bien se rendre compte de la similarité d'échelle:

Grâce à la méthode d'indexation des pics du spectre de la lampe fluorescente, j'ai pu donner une abscisse en longueur d'onde au spectre de la lampe incandescente.

Spectre à l'ordre 1 d'une lampe incandescente.
La première remarque qu'on peut faire est que ce spectre est assez différent du spectre bien lisse d'émission du corps noir que l'on peut s'attendre à trouver pour une lampe incandescente.
Je désignerais volontier 2 raisons principales à ces quasi-discontinuités d'intensité, tout d'abord on peut se demander comment est calculé le niveau de gris à partir des 3 niveaux RGB de chaque pixel et si le résultat s'apparente bien à une intensité optique. En second lieu, il faudrait connaitre la transmittance spectrale des 3 filtres de couleurs placés devant chaque capteurs CCD, si ces filtres qui sont sûrement de simples plastiques transparents colorés ont des transmittances assez abruptes c'est normal que ça se retrouve sur le spectre.
Conclusion
Je n'ai pas eu le temps d'expérimenter plus sur ce spectro car je n'étais chez moi que pour un week-end, mais cette méthode me paraît prometteuse pour étudier les spectres d'absorption dans le visible de produits chimiques pour un coût assez peu onéreux à supposer que l'on ait déjà un appareil photo numérique. Il faudrait procéder à un étalonnage basé sur la loi de Beer Lambert pour voir si le niveau de gris calculé correspond bien à l'intensité optique de la lumière. La prochaine étape sera de voir jusqu'où je peux pousser la résolution pour observer des pics très voisins, et pourquoi pas les 2 raies D du sodium à 588.995 nm et 589.592 nm si je trouve une lampe à sodium. Pour le traitement de mes images j'ai utilisé Matlab qui est un logiciel propriétaire dont je me sers pour mes études, mais il a un équivalent libre qui est scilab avec lequel vous devriez pouvoir obtenir les mêmes résultats que moi. Je tiens à votre disposition mes lignes de codes que j'ai faites pour automatiser le traitement des images, mais je ne sais pas si Scilab et Matlab utilisent le même language.
Ces expériences m'ont été inspirées par la lecture d'une publication du Journal of Chemical Education:
Wakabayashi, Resolving Spectral Lines with a Periscope-Type DVD Spectroscope, J.Chem.Ed 85(6) 2008 pp.849-853
(le fichier est hébergé sur le forum sciencemadness)